Le contrôle des exportations aux États-Unis

  • Post last modified:May 25, 2024
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Les États-Unis utilisent le contrôle des exportations et les sanctions financières comme un outil permettant d’assurer leur sécurité nationale et de promouvoir leurs intérêts stratégiques de politique étrangère. Les outils juridiques, de nature extraterritoriale, régissent les transactions commerciales et financières tant des produits à double-usage que des produits militaires.

L’implémentation de ces législations est répartie entre de multiples agences et en particulier le Département d’État pour les aspects militaires (International Traffic In Arms Regulations « ITAR »), le Département du Commerce pour le double-usage (Export Administration Regulations « EAR ») et le Département du Trésor pour les aspects financiers (Office of Foreign Assets Control « OFAC »).

Objet de la réforme du contrôle des exportations aux États-Unis

Initialisée en 2012, la réforme du contrôle américain des exportations avait pour objectif d’accroître la compétitivité de l’industrie américaine sans affaiblir l’efficacité du système de contrôle ; cette réforme fait bénéficier de la flexibilité des EAR les produits spatiaux et militaires les moins sensibles, tout en concentrant les contrôles les plus stricts des ITAR sur les produits les plus sensibles – selon le principe de “sauvegarde des joyaux de la couronne” (“higher walls around a smaller garden”).

Les EAR, administrées par le Département du Commerce, permettent beaucoup d’exportations soit sans licence, soit sous des exemptions, alors que les ITAR, administrées par le Département d’État sont beaucoup plus rigides et demandent des approbations particulières pour presque toutes les transactions.

 

Ministère

State Department

Department of Commerce

Bureau de référence

Directorate of Defense Trade Controls (DDTC)

Bureau of Industry and Security (BIS)

Réglementation de contrôle des exportations

International Traffic in Arms Regulations (ITAR)

Export Administration Regulations (EAR)

Liste de produits (matériels, logiciels, technologies, services)

United States Munitions List (USML)

Commerce Control List (CCL)

L’idée d’une telle réforme a d’abord été confrontée à de longues réticences du Congrès. Les législateurs fédéraux n’ont soutenu ce projet que sous garantie du maintien de la politique d’embargo et de restrictions en matière de technologies spatiales et militaires même banales, en particulier vis-à-vis de la Chine, ce qui a conduit à implémenter dans les EAR des mécanismes spécifiques.

À partir d’octobre 2013, la réforme a transféré les produits spatiaux et militaires les moins sensibles de la « U.S. Munition List » (USML) des ITAR vers la « Commerce Controlled List (CCL) », et a réparti le contrôle des exportations entre les ITAR et les EAR de façon plus objective. Ces efforts de rationalisation et d’harmonisation se poursuivent à ce jour.

Tout en respectant les accords de Wassenaar dont ils sont signataires, les États-Unis ont ajouté des Export Control Classification Numbers (ECCN) dans la CCL :

  • Série 500 pour les produits spatiaux et série 600 pour les produits militaires, avec leur règles spécifiques :
  • ECCN supplémentaires dans chaque catégorie pour contrôler des produits non contrôlés dans la liste de Wassenaar,
  • ECCN supplémentaires en support de position géopolitiques spécifiques, comme récemment pour certains outils de production ou semi-conducteurs et calculateurs de haute performance « Advanced Computing».  

 

Classement des pays selon leur régime de contrôle des exportations (CSET, 2023)


Critères déterminant le contrôle des exportations

Les ITAR et les EAR organisent le contrôle des exportations de produits sous leur juridiction respective, suivant des logiques différentes comportant de nombreuses règles basées sur la « nature » ou la « destination » (utilisateur et utilisation) des matériels, logiciels ou technologies. Alors que les ITAR accordent très peu d’exemptions, les EAR ont instauré un système complexe d’autorisations dépendantes de raisons de contrôles spécifiques à chaque produit (lesquelles varient suivant des critères, techniques, économiques, politiques et géopolitiques), avec la possibilité que le gouvernment américain décide de contrôles moins restrictifs en appliquant certaines « exemptions », au cas par cas ;

  1. Le classement des produits :

Le classement des produits est de la seule responsibilité de l’exportateur, qui doit définir si son produit est identifié dans la USML, sur les bases de fonctionalité et de performance (auquel cas le régime des ITAR s’applique) ; autrement, l’exportateur se réfère aux EAR et doit identifier dans quelle catégorie de la CCL son produit est décrit.

L’exportateur peut demander une décision de classement officielle (« Commodity Jurisdiction ») auprès du Départment d’État pour déterminer si le produit est contrôlé par les ITAR ou les EAR et dans quelle catégorie ; si l’exportateur s’est déjà assuré que le produit est classé « double-usage », il peut demander directement une décision de classement auprès du Départment du Commerce.

L’opération de classement permet donc de conclure si un produit est visé par l’USML – et donc contrôlé par les ITAR, ou bien s’il relève de la CCL – et donc contrôlé par les EAR.

Enfin, pour désigner la référence alphanumérique qui identifie le produit classé on parle de « Category » pour les ITAR et d’ECCN pour les EAR.

 

  1. La destination :

Les États-Unis respectent tous les embargos sur les armes imposés par le Conseil de sécurité des Nations Unies, et implémentent de surcroît leur propre régime de limitations ou sanctions spécifiques.

Alors que l’extraterritorialité des contrôles des ITAR est illimitée, celle des EAR est plus nuancée : deux règles (De Minimis et Foreign Direct Product Rule) atténuent les effets de l’extraterritorialité des contrôles des EAR pour les produits d’origine non-américaine qui sont livrés, quand ils intègrent des produits d’origine américaine. L’application de ces règles des EAR relève du contrôle par destination du contenu américain, de l’utilisateur et de l’utilisation finale.

 

La Foreign Direct Product Rule permet au Département du Commerce de réglementer la réexportation et le transfert d’articles fabriqués à l’étranger si leur production implique certaines technologies, certains logiciels ou certains équipements.

L’exclusion du De Minimis est la seule vraie exception au principe d’extraterritorialité de la loi américaine. Suivant cette règle, le Département du Commerce ne contrôle pas la réexportation de produits américains, tangibles ou intangibles, incorporés dans, ou qui ont contribué à la fabrication, d’équipements d’origine non américaine,  tant que cette valeur ajouté américaine incorporée reste  inférieure à 25%  (globalement mais aussi respectivement pour, le matériel, le logiciel et la technologie…)..

Ce ratio tombe à 10% pour quatre pays (Corée du Nord, Cuba, Iran, Syrie).

Le seuil du De Minimis est réduit à 0% pour :

  • la Chine pour la réexportation de produits spatiaux (série 500 des EAR),
  • tous les pays sous embargo militaire (énumérés dans la liste « D5 » des EAR, en particulier la Chine et la Russie), pour la réexportation des produits de la catégorie 600 des EAR (spécifiquement conçus ou modifiés pour l’usage militaire mais non contrôlés par les ITAR dans l’USML), et
  • quelques composant très sensibles, de guidage et de cryptologie notamment.

L’OFAC du Département du Trésor contrôle les transactions financières vers des destinations sous sanctions ou impliquant des personnes sous sanctions. Ces sanctions, sectorielles ou de personnes, varient suivant les pays, les produits exportés et leur destination.

 

  1. L’utilisation finale :

Les États-Unis sont partie à cinq régimes multilatéraux de non-prolifération :

  • le Groupe des fournisseurs nucléaires (NSG) pour les armes nucléaires,
  • le Comité Zaanger pour les technologies d’énergie nucléaire,
  • le Régime de contrôle de la technologie des missiles (MTCR),
  • le Groupe d’Australie pour les armes chimiques et biologiques, et
  • l’Arrangement de Wassenar pour les produits à double usage.

En plus de ces accords, les États-Unis implémentent leur propre politique en matière d’utilisation finale au travers de contrôles spécifiques sur l’utilisation finale et la destination du produit. Aux contrôles sur la nature et la destination finale des produits s’ajoutent enfin des restrictions concernant l’exportation et la réexportation vers certaines personnes, physiques ou morales, identifiées dans différentes listes gérées par le Département du Commerce, le Département d’État et le Département du Trésor. Ces listes sont consolidées, mises à jour et publiées quotidiennement par le Département du Commerce.

Contrôle des exportations des technologies du spatial

Le contrôle des lanceurs, des satellites et de leurs sous-ensembles est partagé entre les ITAR (USML Catégories IV et XV) pour les lanceurs, les services de lancement et les satellites et leurs sous-ensembles les plus sensibles, et les EAR (CCL) dans les séries 600 (9X604) pour certains composants pour les lanceurs et 500 (9X515) de la CCL pour les satellites et les sous-ensembles les moins sensibles. La délimitation entre les ITAR et les EAR est basée sur des critères de performance techniques et non seulement sur l’utilisation militaire ou non.

Des règles additionnelles de sécurité s’appliquent pour l’utilisation de services commerciaux spatiaux par le gouvernement américain, et en particulier les forces armées (imagerie ou télécommunications), comme l’utilisation d’une cryptographie approuvée par le Département de la Défense sur les liaisons de télémesure et de télécommande (TM/TC) et le signal des satellites.

Rôle du contrôle des exportations dans le développement de l’intelligence artificielle

Le rôle stratégique du contrôle des exportations s’applique au travers de la supervision de technologies des semi-conducteurs de hautes performances, enjeu stratégique dans l’ère de l’intelligence artificielle (IA). Ces contrôles s’appliquent aux équipements qui permettent la fabrication de ces semi-conducteurs, tant qu’aux semi-conducteurs eux-mêmes et aux ordinateurs les intégrant.

La compétition américano-chinoise a notamment motivé le Département du Commerce à mettre à jour, en octobre 2023 des règles spécifiques relatives à l’exportation de ceux-ci en particulier vers la Chine et Macao.

Enjeu du contrôle américain des exportations à noter pour les Européens

Deux caractéristiques permettent de comprendre l’enjeu profondément politique du contrôle américain des exportations : le support de la politique nationale à l’étranger, et la protection de la sécurité nationale sur le territoire.

La Constitution américaine rappelle que le marché libre est un privilège et les règles y afférant sont contrôlées au niveau fédéral par le Congrès. L’article I, section 8 de la Constitution prévoit en effet que le Congrès “réglemente le commerce avec les nations étrangères“.

Étant donné que les décisions politiques orientent les réformes et prises de positions spécifiques relatives au contrôle des exportations, ce dernier système est complexe car il reflète des politiques stratégiques et des politiques étrangères évolutives et nuancées dont l’application est confiée à plusieurs agences fédérales.

La protection de la sécurité nationale rend aussi difficile l’accès au marché américain, le contrôle de ce marché et l’installation d’entreprises étrangères sur le territoire.

Les Européens découvrent souvent que les règles américaines de contrôle des exportations sont particulièrement complexes, surtout dans les domaines spatial et militaire.

Créer une filiale aux États-Unis, pour accéder au marché spatial et militaire demande non seulement de comprendre et d’appliquer correctement ces règles, mais aussi de s’assurer de la conformité aux règles de cybersécurité et aux règles liées à l’exécution des contrats de défense.

L’accès à certains contrats ou marchés classifiés demande d’installer une structure qui donne confiance aux Américains en termes de protection des informations, qui protège contre toute fuite indue vers la maison mère de l’entreprise étrangère installée aux États-Unis, et contre l’influence de celle-ci sur l’exécution des contrats de défense. Ces structures (« Special Security Agreement » ou « Proxy ») peuvent être complexes et longues à mettre en place.

 

Plus d’informations sur les régulations du contrôle américain des exportations

Site web du BIS , Site web du DDTC , Site web de l’OFAC , et de nombreuses publications en ligne.

Nous remercions tous ceux qui nous ont aidé à mieux comprendre l’export control américain, et en particulier Corinne Kaplan (CKaplan, LLC) et Arnaud Idiart.